Les pentes sont ardues, les routes sinueuses, les sapins qui épousent la vallée oscillent au vent chaud qui souffle aujourd'hui. Après 2h30 de trajet autour de la vallée, les touristes motivés découvrent dix maisons, un temple, un four à pain, cinq habitants … et soixante chèvres. Bienvenue à Aucelon, petite commune nichée en plein cœur de la très touristique vallée de Roanne, dans la Drôme. Un village comme il en existe peu aujourd'hui, entouré par une nature encore verdoyante et préservée. Un vestige des temps passés auquel n'accède pas n'importe qui. Si le numérique et le wifi ont réussi à traverser les branches épaisses des sapins, le temps semble suspendu. Loin du rythme effréné de la ville, on vit en fonction des saisons. L'hiver est rude et enneigé, l'été est court et chaud. On s'adapte. C'est en tout cas ce qu'a décidé Joël, chevrier installé à Aucelon depuis le début des années 2000. Adieu société de consommation, exit les contraintes de citadins... Joël vit, chaque jour, au rythme de ses chèvres et de la nature. La preuve …
6h30 – Le soleil se lève à peine sur la vallée. Joël, un bol de thé à la main, des faisselles fraîches dans l'autre s'apprête à traire ses « biquettes ». « En ce moment, il fait très chaud, la journée commence plus tôt : il faut les sortir au plus vite de la chèvrerie. » À petit pas, on s'aventure dans cette étable embrumée. L'odeur animale, chauffée par le soleil, y est puissante. L'étable est rustique, c'est peu dire … Aline, la jeune compagne de Joël, a déjà préparé la salle de traite 100 % « Home-made » : un podium, une porte renversée, et beaucoup d'huile de coude : « J'ai arrêté de traire mes chèvres au robot depuis deux ans déjà. Tous les matins, je les trais à la main. » Au-delà d'un simple geste, c'est d'abord un choix de vie. Pas seulement parce que traire une soixantaine de chèvres à la main, matin et soir, prend du temps … beaucoup de temps.
8h30 – La vie rêvée des chèvres. Une fois la traite effectuée, Aline et Joël, béret sur la tête, bâton au bras, montent leur troupeau sur les flancs de la montagne. Les biquettes sont parties pour la journée. « Pour élever mes chèvres, j'essaye d'être simple. Si en soi l'élevage n'est pas naturel, je fais tout pour respecter le cycle de la nature. » Joël est revenu à ce qu'il appelle les lois originelles. « À Aucelon, la nature a repris ses droits et a envahi le territoire des hommes ». Joël est entré dans les sentiers battus de la bio depuis peu, mais il est convaincu de sa nécessité depuis toujours. « C'est une façon de vivre. Le territoire et la production sont concomitants. Les chèvres sont capables de tirer partie d'un territoire qu'on qualifie traditionnellement de pauvre. En réalité, ici, on est sur une terre très riche. » Intarissable sur la nécessité de prendre soin d'un paysage, grâce auquel les agriculteurs vivent ; inépuisable sur le respect du cycle de la vie et de la saisonnalité... Joël n'est pas un modéré : il a petit à petit abandonné les repères modernes pour modeler une vie à sa façon.
10h00 – Au combat ! Joël au volant de sa camionnette customisée, embarque la boulangère pour une réunion improvisée avec la DDT (direction départementale des territoires) et une entreprise de travaux publics : « Ils vont bloquer la route principale qui relie Saillans à Aucelon pendant quelques semaines. Les touristes seront obligés de passer par Pennes-le-Sec pour arriver chez nous. C'est un grand détour. Il faut s'assurer que cela ne dure pas trop longtemps. » Sans avoir vraiment d'ambition politique, Joël s'est petit à petit engagé dans la vie de son village « par nécessité ». Un mandat local qui lui permet de mieux comprendre le fonctionnement de la vie rurale, et de se battre pour la survie d'un village qui compte 4 habitants l'hiver.
12h00 – Pastis et Pastoralisme. Ici tout le monde connaît Joël , il n'est pas rare qu'un voisin passe par là pour discuter autour d'un verre et d'un morceau de chèvre. Figure vintage, Jean-Yves fait son apparition : barbe de toujours, cheveux longs tressés, pantalon usé, béret … pas de doute Jean-Yves est un berger, un vrai. Éreinté, il vient de finir la transhumance. Dialogue de sourd autour de l'approvisionnement en bois pour l'hiver. Voyage quelques siècles en arrière garanti. « Vivre en milieu rural, c'est aussi ça : le partage et la convivialité autour de valeurs simples... il faut se serrer les coudes, surtout en hiver. »
17h00 – Vivre le tourisme Joël n'est pas un professionnel du tourisme. Mais « pour que la campagne vive, il faut accepter qu'une autre partie de population nous envahisse. » Ici les préjugés sur badauds et touristes ont la vie dure... C'est pourtant bien à eux que Joël vend ses fromages de chèvre. Puisqu'il refuse de les vendre sur les circuits de distribution classiques, il faut bien trouver une alternative. Ses principaux clients ? Des réseaux de consommateurs et surtout les Amap (Association pour le maintien de l'agriculture paysanne). Et puis chaque mardi de l'été, il accueille des touristes gourmands dans sa bergerie. Petit tour du troupeau, Joël répond aux questions des touristes, qui repartent avec un ou deux fromages. « C'est pas assez ! » s'exclame-t-il ! Joël a beau râler, il a pourtant bien compris que dans une région aussi reculée que la sienne, il devait tout faire pour attirer les potentiels consommateurs de produits du terroir !